Histoire d'un conteur bruxellois
Pitcho Womba Konga cumule plusieurs casquettes créatives, mais il est avant tout un artiste urbain. Ce qui l’a mené de Malcolm X à Lumumba, de la poésie slam à la musique classique contemporaine. Par son travail d’acteur et de metteur en scène, Pitcho interroge ce que nous ou lui-même savons ou croyons savoir sur le monde. Le résultat surprend, émeut, fâche, mais ne laisse jamais indifférent. Le récit d’un Bruxellois audacieux qui voit et sent à visage découvert.
Pitcho Womba Konga en conversation avec Hugues Makaba Ntoto
D’où te vient cette soif qui t’amène à utiliser différentes formes d’art ?
Je suis extrêmement gourmand, parce que je suis très curieux de nature. Par le biais de la culture hip-hop, j’ai découvert que ce n’est pas la forme, mais le contenu qui importe le plus. Quand tu veux raconter une histoire, il faut trouver un moyen de la présenter au public. C’est la quintessence de mon travail en tant qu’artiste : raconter des histoires. Que ce soit par la musique, le cinéma ou le théâtre m’intéresse moins que le message que je veux communiquer.
« Un projet est beaucoup plus intéressant quand il se termine par un grand point d’interrogation au lieu d’une réponse toute faite. ».
Comment parviens-tu à entremêler des perspectives historiques et personnelles dans ton travail ?
Je ne trouve pas très intéressant de présenter la vie et l’œuvre de Malcolm X ou de Lumumba comme la vérité. Je trouve beaucoup plus intéressant de voir quelles sont les idées qui subsistent aujourd’hui. Il n’y a pas seulement un devoir de mémoire, mais de changement aussi. Comment cette mémoire nous touche-t-elle en tant qu’individu et comment affecte-t-elle nos rapports interpersonnels ? Et comment l’aborder en tant qu’artiste ? Je peux choisir entre la colère ou la transmission d’un message teinté par mon expérience.
Ma perspective est celle d’un Congolais qui aime le hip-hop et vit et travaille à Bruxelles. C’est une tout autre perspective que celle de quelqu’un qui a grandi, mettons, à New York. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas des biographies précises. Voilà pourquoi je ne tente pas non plus de présenter une « vérité ». Ce qui m’intéresse, c’est l’impact. Un projet est beaucoup plus intéressant quand il se termine par un grand point d’interrogation au lieu d’une réponse toute faite. Le questionnement ne s’arrête pas avec la pièce, mais se poursuit.
Pour ton spectacle Kuzikiliza, tu pars du discours d’indépendance de Lumumba. Qu’est-ce qui fait de ce discours un bon point de départ ?
Lumumba parlait d’une réalité qu’il avait vécue au Congo. Et celle-ci était en effet difficile à accepter pour certains Belges. Je me suis demandé comment aborder les médias qui nous inondent d’information et qui ont tant d’influence sur l’image publique de quelqu’un. Même si cela génère beaucoup d’opposition, formuler une opinion personnelle est tellement plus intéressant. Cela demande du temps, de la recherche et d’innombrables réflexions. C’est ce qui a constitué le travail autour de Lumumba et ce qui m’importait.
« Nous avons tous besoin de héros qui nous ressemblent. »
Qu’est-ce qu’un personnage comme Lumumba peut signifier pour les générations futures ?
Ici en Belgique, nous commençons à peine à comprendre que les cultures sont équivalentes. Nous avons tous besoin de héros qui nous ressemblent. Surtout si ces héros sont issus d’une histoire commune. Retirez ça aux gens et ils ne se sentent plus chez eux dans la société. Des personnages historiques comme Lumumba ou l’ancien président du Burkina Faso, Thomas Sankara, sont devenus des héros par leur détermination. Ils sont morts pour leurs idéaux. Ce sont des sources d’inspiration qui continueront à nourrir l’espoir des générations à venir et à les encourager à réaliser leurs rêves et leurs ambitions.
Crains-tu d’être qualifié « d’artiste engagé » ?
Je n’aime pas les étiquettes, mais je comprends que les gens aient besoin de désigner les choses ou les personnes. Je me vois tout simplement comme un artiste urbain. C’est là que se situe la source de ma réflexion artistique. Je ne conçois pas l’activisme exclusivement comme une action politique. L’activisme s’exprime par des actes. C’est pour cela qu’un artiste est aussi un activiste. Il s’agit de processus de création, de réflexion, de discussion avec des gens, de production de spectacles. C’est ma forme d’activisme. Je n’ai pas besoin de créer une pièce sur Malcolm X ou Lumumba pour devenir un militant. Je me penche sur des sujets qui m’intéressent. Cela dit, je remarque en effet qu’au sein du paysage culturel, il est important qu’une personne d’origine africaine parle de Lumumba. La seule chose à laquelle je pense est le prochain niveau : comment faire une pièce sur l’amour et la violence sans qu’elle s’articule forcément autour d’un personnage « fort » ? Je veux simplement raconter des histoires. Je suis très engagé, mais ne me qualifiez pas « d’activiste politique ».
« Ce travail m’a souvent permis d’approcher le bonheur ultime. »
Que peut-on encore attendre de ta part ?
Kuzikiliza sera repris en janvier 2019. À l’heure actuelle, nous travaillons encore à L’expérience Pi, une coproduction ambitieuse avec Le Botanique, Arsonic et le Théâtre de Liège. Rise Up est un projet du KVS pour lequel je dirige des ateliers de poésie. En outre, j’écris trois séries télévisées en ce moment.
Pour conclure, quel est ton plus grand rêve ?
Jouer dans un film de Spike Lee. Ça, ce serait fantastique. Par ailleurs, j’aspire surtout à un jour devenir père et fonder une famille. Je suis extrêmement heureux du chemin que j’ai parcouru. Ce travail m’a souvent permis d’approcher le bonheur ultime.